A l’heure où nous écrivons, 1,5 million de personnes sont affectés par l’épidémie de coronavirus pour, au total, 1/5e de la population mondiale confinée, soit 1,2 milliard d’habitants. La mondialisation des échanges que nous connaissons depuis la chute de l’URSS s’est brutalement arrêtée de fonctionner. Ce virus vient révéler les failles béantes qui s’étaient manifestées lors de la crise de 2008 sur notre planète finance globalisée, que nos chères élites s’étaient empressées de rafistoler mais qui risquent d’éclater dans un effondrement inédit. Dans un premier temps, le secteur alimentaire a été épargné puisque les français ont fortement accru leur consommation alimentaire, sollicitant de nombreux produits alimentaires de base, comme le lait, les pâtes ou encore les œufs. Pour l’instant, le PIB a plongé de 6 % sur le 1er trimestre 2020. Le secteur agricole et agroalimentaire représente 4 % du PIB et pour l’instant, l’impact est neutre, contrairement à la construction, l’industrie et le tourisme, qui sont les trois contributeurs majeurs de la régression. Il est à prévoir que la France va connaître une récession profonde de 10 points de PIB cette année a minima : du jamais vu depuis 1945 ! L’effondrement prédit par les survivalistes depuis quelques années est bien en marche.
L’activité de consommation alimentaire par semaine en est un indice. Normalement, on est sur un rythme qui varie peu, dans un tunnel se situant entre -2 et 2 % d’une semaine sur l’autre. Ici, sous l’effet de la médiatisation du COVID-19, on s’est retrouvé sur des croissances à 2 chiffres d’une semaine sur l’autre pour la consommation de produits alimentaires. Le pic a été atteint la semaine de l’annonce du confinement national. L’état de panique aidant, certains jours ont même vu des croissances à 3 chiffres sur les volumes d’achat, ce qui a abouti à ces phénomènes de pénuries sur certaines denrées observées dans plusieurs magasins. L’ensemble des distributeurs, même ceux qui étaient en perte de vitesse avant la crise, ont bénéficié de l’arrivée massive des consommateurs. D’après l’INSEE, « les achats d’anticipation ont été massifs juste avant le confinement : par exemple, les dépenses alimentaires du lundi 16 mars 2020 ont plus que triplé par rapport au lundi correspondant de 2019. ». À ce titre, le profil de la consommation évolue : désormais la consommation se concentre la semaine alors qu’auparavant c’était le week-end. Les circuits de la grande distribution connaissent un pic pendant un temps, puis ils baissent fortement, due à la crainte que ces grands espaces regorgeant de clients font planer sur les consommateurs. Ce sont surtout les circuits de proximité qui en profitent puisque le consommateur se tourne plutôt sur ces magasins de taille plus réduite. Avec les difficultés du pouvoir d’achat qui se profilent, les circuits du low-cost continuent leur progression entamée depuis ces dernières années avec l’atteinte douloureuse du pouvoir d’achat des français. Dans ce contexte de confinement, il n’est pas surprenant de constater que le commerce en ligne explose, ce que d’aucuns prédisent comme une pratique qui restera plus ancrée à l’avenir. Faisant face à une crise inédite par son ampleur, le consommateur adopte des attitudes contradictoires : il achète massivement des produits pour profiter du temps donné par ce confinement pour faire davantage de cuisine à la maison (farine, œuf, beurre et lait notamment), mais il recourt également aux achats de produits surgelés et en conserves, si d’aventure la crise sanitaire devait muter en crise alimentaire.
À qui profite le crime ? Il semble que cet amas d’argent soit en grande partie capté par les grosses marques et les industriels de l’agroalimentaire au détriment des petits producteurs. Tout d’abord, la fermeture des cafés, bars et restaurants, qui participent à cet art de vivre à la française, depuis le samedi 14 mars 2020 a porté un coup dur aux débouchés majeurs qu’ils constituaient pour les producteurs français. Cette mesure a été suivie par la suite par l’arrêt des marchés en extérieur, ce qui a affecté les circuits courts pour les producteurs. Un effet récessif s’en est ressenti sur les prix alimentaires dans un premier temps, car l’offre se trouvait abondante par rapport à une partie non négligeable de la demande qui se trouvait amputée. Mais l’emballement de la consommation alimentaire, conjugué à une chute de la production arrêtée avec le confinement, a fait grimper les prix alimentaires.
« Je veillerai à ce que l'augmentation des prix alimentaires reste acceptable » a averti notre sinistre Ministre de l’Économie, Bruno Le Maire. S’il s’y prend comme pour le gel hydro alcoolique où la publication d’un décret d’encadrement du prix à 3 euros avait entraîné une pénurie d’offre, les producteurs préférant ne pas en produire au vu du prix peu incitatif, les tracas économiques risquent de s’amplifier. L’encadrement des prix n’a jamais créé davantage de production et l’on peut craindre une pénurie alimentaire s’ils s’aventurent à ces procédés contre-productifs car les producteurs ne vont pas se risquer à travailler pour tenter de vendre à perte leurs produits. Avec des volumes moins importants, le coût de transport est plus élevé, en dépit de l’obligation donnée aux distributeurs de s’approvisionner auprès des producteurs français alors même que les frontières étaient déjà fermées, rien n‘y a fait : si l’on oublie les effets délétères que peut produire la loi de l’offre et de la demande, celle-ci se rappelle à nous et les répercussions peuvent s’avérer redoutables. Si la pénurie alimentaire pointe son nez, on risque la conjonction de deux phénomènes qui s’entrechoquent dans un effet de ciseau mortifère : d’un côté, une demande affectée par l’impact grandissant que va avoir le chômage de masse sur le pouvoir d’achat des français, de l’autre une production qui, si elle parvenait jusqu’ici à écouler ses stocks, fruits du travail des derniers mois de pré-confinement, va subir un net ralentissement pendant le trou d’air du confinement. C’est dans ce contexte qu’on a entendu notre Ministre de l’Agriculture, Didier Guillaume, sonner une fausse note dans la musique gouvernementale, en appelant chacun à sortir de chez soi pour aller travailler aux champs. En effet, c’est 200 000 travailleurs saisonniers qui pourraient manquer à l’appel pour répondre au défi grandissant de l’approvisionnement agricole et alimentaire. Car s’il devait y avoir pénurie alimentaire, donc explosion des prix alimentaires, en période de difficultés économiques inédites pour beaucoup de français, la situation de « guerre » décrétée par nos chers dirigeants se manifesterait illico sur le front des frigos. Déjà, certains pointent l’inflation galopante qui a gagné certains produits, notamment les fruits et légumes, avec d’ores et déjà des hausses de 50 à 100 % pour certains produits, comme les fraises, les concombres.
Cette pénurie est d’autant plus perceptible que notre économie agricole souffre du désarmement progressif qui lui a été imputé depuis des décennies dans nos économies soi-disant riches, dans lesquelles on nous sommait de nous tourner résolument vers le secteur tertiaire, « seule voie d’avenir et de modernité », délaissant ainsi, le secteur industriel et agricole. Bizarrement, entre temps, le chômage gagnait du terrain, et n’a jamais retrouvé son niveau de plein emploi qu’il connaissait pendant les Trente Glorieuses. Ce désarmement se manifeste sur au moins quatre aspects de la politique agricole : le rôle néfaste de l’UE à qui l’on a délégué la gestion du dossier depuis un demi-siècle, l’artificialisation des sols, le délaissement de nos paysans et la part grandissante des mastodontes alimentaires type Kraft Food, Unilever ou encore Bayer-Monsanto.
À cet égard, il faut souligner le bilan accablant de la PAC en matière alimentaire qui a poussé toujours plus loin l’agriculture productiviste et, dans le même temps, ouvert grandes les frontières par des accords de libre-échange déraisonnés. Cette politique a fait sauter les dispositifs de soutien aux prix vendus par les agriculteurs, depuis la nouvelle PAC du début des années 90, l’UE s’étant soumise aux injonctions américaines dans le cadre de la guerre commerciale (GATT/OMC). En déréglementant et décloisonnant l’agriculture, ils ont l’affaibli et manœuvré comme une variable d’ajustement néo-libérale soumise à tous les aléas des cours mondiaux. Cela a conduit à une régression toujours plus forte du prix de vente du producteur, aggravé en France par le pouvoir omniprésent voire « omni pressant » de la grande distribution. En bref, les pouvoirs publics laissent s’artificialiser des sols autrefois dévolus aux agriculteurs pour construire toujours plus d’hypermarchés. Parallèlement, la réglementation européenne gourmande en importations de main d’œuvre étrangère autorise le travail détaché, c’est-à-dire affranchi des cotisations sociales de notre cher État-Providence. Elle rend nos exploitations agricoles fortement dépendantes de ces travailleurs pour assurer les récoltes et la production agricole. Cette situation fait que la France se trouve aujourd’hui réduite en nombre de paysans comme peau de chagrin, comme jamais auparavant, l’agriculteur symbolisant l’une des premières professions qui se suicide. L’histoire légendaire de notre pays est pourtant fortement marquée par cette profession qui fondait jadis le métier de la plupart des français. La situation agricole française se trouve également vulnérable comme jamais : Stéphane Linou, auteur de « Résilience alimentaire et sécurité nationale », souligne le fait que l’autonomie alimentaire des centres urbains français s’élève à …2 %, c’est-à-dire que 2 % des besoins alimentaires de ces métropoles sont produits localement. Or plus des deux tiers des français vivent dans ces milieux urbains ! Et en même temps, 97 % de ce qui est produit localement se consomme ailleurs, voire à l’étranger. Notre économie agricole, comme le reste, est fortement dépendante du pétrole dans son fonctionnement pour l’acheminement des produits phytosanitaires, de phosphore - élément majeur qui a permis notamment de tripler le rendement du blé en un siècle- des engrais, de l’alimentation animale pour nos élevages, de la distribution des produits en magasins.
Après s’être trouvé démunie de masques, de gel hydro alcoolique, de tests, de respirateurs, de lits d’hôpitaux, la France se trouvera-t-elle démunie sur le plan de l’autosuffisance alimentaire ? Les émeutes de la faim, connue en 2008 lors de la dernière flambée des prix des matières premières agricoles principalement dans les pays pauvres, seront-elles également le lot des « économies avancées » comme la nôtre ? Certains observateurs notent avec raison la tiers-mondisation dans laquelle se trouve notre beau pays sous l’effet des politiques d’austérité budgétaires opérées par le sacro-saint pacte de stabilité depuis Maastricht, ce qui fait que les lits d’hospitalisation par habitant a été divisé par deux en trois décennies, quand dans le même temps la population n’a fait qu’augmenter, notamment la population âgée. Certains pays membres de l’UE, comme l’Italie, se sont vus aidés par Cuba, la Russie ou encore la Chine.
Le sujet alimentaire est tout aussi critique. Si le gouvernement nous martèle qu’il n’y « aura pas de pénurie alimentaire en France », c’est qu’il faut se préparer au pire. N’oublions pas que c’est d’une flambée du prix du pain que s’est allumée la Révolution française. Le petit peuple des Gilets jaunes, méprisés, gazés et matraqués par le pouvoir pendant de longs mois, tient aujourd’hui l’économie française à bout de bras pour assurer l’approvisionnement des français dans cette crise.
Plus que jamais, le monde d’après doit passer par un retour à la terre salvatrice, un retour à l’agriculture biologique et raisonnée, un respect plus grand accordé à la biodiversité, un recloisonnement de nos économies aux chaines d’approvisionnement trop fragiles pour privilégier autant que possible les circuits courts, une prise de conscience du consommateur pour l’origine du produit et son mode de fabrication, une incitation forte à l’égard des jeunes générations pour exercer ces métiers qui font la richesse, la grandeur et la gloire des terroirs français.
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