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  • Photo du rédacteurJean Le Hussard

Le clan familial au Moyen Age : les successions sans testament de biens propres (5/6)

Dernière mise à jour : 25 mai 2020



La belle concision du brocard, que tous les juristes médiévaux aimaient à répéter, masque néanmoins une certaine complexité de traitement, auquel la divergence des interprétations ci et là ajoute son grain de sel. On s’y perdrait aisément si l’on ne conservait pas en mémoire que cet adage ne concernait que les biens propres, en d’autres termes les biens hérités par le défunt (de cujus) de son père ou de sa mère (« propres naissants ») ou hérités même par le père ou la mère du défunt (« propres anciens ») par opposition aux meubles & acquêts acquis par le défunt au cours de sa vie et aux fiefs, qui désignaient des biens immobiliers donnant lieu à des rapports de vassalité. Par extension, on rangeait dans les propres les biens reçus en donation par le de cujus en « avancement d’hoirie » - à valoir sur sa part dans la succession de ses parents. Au Moyen Age, l’adage paterna paternis materna maternis était nettement circonscrit quant aux biens. Ceux reçus en leg testamentaire d’un parent, ceux hérités ab intestat d’un parent en ligne collatérale, par exemple d’un oncle, de même que ceux acquis de son vivant par le défunt par retrait lignager ou même ceux acquis grâce au prix de vente d’un bien propre, tous ces biens même immobiliers suivaient le régime des meubles & acquêts. Ce n’est pas dire que la règle était d’application rare. En raison de la rareté des acquisitions immobilières, tous les biens immobiliers d’origine inconnue étaient présumés propres (J.-P. Lévy et A. Castaldo, Histoire du droit civil, Précis Dalloz, 1re éd., n° 814 et s.) et leur succession pouvait concerner autant des familles nobles que roturières.

Ceci rappelé, précisons que l’adage recevait trois domaines d’application : celui des descendants en ligne directe, des collatéraux et, dans une mesure à préciser, des ascendants. La répartition selon leur origine des biens paternels et maternels ne présente pas d’intérêt pour les enfants issus des deux parents. Les règles de succession des fils et filles germains variaient donc d’une coutume à l’autre en fonction, sans doute, des particularités ethniques des régions considérées, sans rapport avec l’adage précité. Par exemple, dans la très ancienne coutume de Normandie, qui rejetait tout droit d’aînesse pour les biens propres - à la différence de ce qu’elle retenait pour les fiefs - les droits des fils étaient égaux, mais la ou les filles étaient exclues de la succession des propres quand du moins elles avaient des frères. Ceux-ci devaient s’engager, en contrepartie, à leur assurer et financer un « mariage avenant » (art. LXXX, 2). La représentation jouait à l’infini en ligne directe, si bien que les propres se répartissaient par souches et non par tête entre les fils et les fils, petits-fils ou arrière-petits-fils de leurs frères. A l’opposé, dans les régions picard-wallonnes du Nord, l’héritage des propres tombait dans l’escarcelle du ou des seuls fils demeurés « en scèle », à la maison, qui continuerait l’exploitation agricole : n’héritaient donc point les fils émancipés, qui l’avaient quitté, ni les filles dotées ou non. C’était la coutume suivie également à Paris, à Orléans (Li Livre de Jostice et de Plet, XII, 21, 5) et en Champagne, à ceci près qu’elle ne distinguait pas les héritiers selon leur sexe masculin ou féminin et permettaient aux enfants sortis du foyer familial d’hériter moyennant rapport à la succession de la dot qu’ils en avaient reçu.

La règle paterna paternis materna maternis trouvait en réalité sa première application, en ligne directe (descendante), dans les successions de lits différents, dans l’hypothèse donc où le de cujus décédait en laissant des enfants provenant de mariages successifs. Pour se représenter cette situation de concours entre frères et sœurs consanguins (de père commun et mère différente) ou utérins (de mère commune et père différent), il faut songer ici, non à une dépravation des mœurs qu’empêchait en ces temps la vigueur de la religion, mais au taux de mortalité élevé des femmes en couche et, marginalement, aux annulations de mariage permises dans un cadre des plus strict par l’Eglise. La succession « par lits », conformément à l’adage, signifiait que les biens paternels étaient divisés en nombre de lits entre enfants consanguins, par exemple la moitié des propres pour ceux du premier mariage, la moitié pour ceux du second, à l’exclusion des enfants utérins, et réciproquement qu’aux biens maternels ne concouraient que les enfants utérins à l’exclusion des consanguins. Cette coutume était appliquée à Paris, en Bourgogne, en Agenais, en Bordelais, à Mons, à Namur, en Champagne en certains endroits (P. Ourliac et J.-L. Gazaniga, Histoire du droit privé français, Albin Michel, p. 322-323), notamment à Chaumont en 1494 (J. de Laistre, Coutume de Chaumont en Bassigny nouvellement commentée & conférée avec les autres coutumes de Champagne, Paris, éd. Damien Beugnié, 1723, p. 289 et s.).

Mais c’est surtout à propos des collatéraux – frères et sœurs, oncles et tantes, neveux et nièces du défunt –, à défaut de descendants, que s’exprimait la vigueur de la règle de répartition par branches des biens propres. Négativement, et dans toutes les très nombreuses coutumes qui la retenaient, les collatéraux de la branche maternelle ne pouvaient hériter des biens propres, naissants ou anciens, provenant du père, d’un aïeul, d’un bisaïeul ou du trisaïeul du défunt. Inversement, les collatéraux de la branche paternelle ne pouvaient venir à la succession des propres maternels. Positivement, l’ordre de succession des collatéraux successibles aux biens propres variait d’une coutume à l’autre. Les unes, dites de « tronc commun », présentes en Bourgogne et en Franche-Comté, désignaient à la succession le collatéral du de cujus qui descendait tant de celui-ci que du premier acquéreur du bien considéré. Ainsi le petit-neveu du défunt (fils du frère de celui-ci), héritait-il du bien immobilier acquis par le grand-père du défunt dont celui-ci avait lui-même hérité, excluant par exemple le cousin germain du de cujus (fils de son oncle), le frère et le cousin du grand-père premier acquéreur, qui ne peuvent se prévaloir de ce double lien. Cette coutume favorisait, on le voit, la dévolution de l’intégralité des propres à un seul héritier vivant, ou du moins à une génération unique, généralement jeune. D’autres coutumes, dites « souchères », présentes surtout en région parisienne (Dourdan, Melun, Mantes, Montargis, Orléans), en Touraine et en Normandie, appelaient à la succession le ou les descendants, les plus proches en degré du défunt, de l’ancêtre qui avait acquis le bien et l’avait fait entrer dans le patrimoine de sa famille, ou du moins son plus ancien possesseur connu. Dans l’exemple précité, le petit-neveu et le cousin du de cujus, espacés chacun de quatre degrés romains de celui-ci, héritaient-ils en concours du bien immobilier acquis par le grand-père du défunt. La majorité des coutumes était de « de côté et de ligne », notamment dans l’Ouest de la France et dans une certaine mesure à Paris, désignait à la succession du propre tous ceux qui étaient parents, même non descendants, du premier acquéreur. Reprenant notre cas, nous dirions qu’héritaient non seulement le petit-neveu, le cousin du de cujus, mais aussi le frère du grand-père premier acquéreur. Enfin, les coutumes « de simple côté », à l’instar de celles de Meaux et de Chauny, permettaient à tous ceux qui appartenaient à la ligne, paternelle ou maternelle, d’où le bien était venu au défunt, d’en hériter en concours. A suivre notre exemple, les biens propres du de cujus devaient être partagés entre son petit-neveu, son cousin, ses deux grands-oncles, le cousin et le frère du premier acquéreur. Cette dernière catégorie de coutumes - qui favorisaient la dispersion des biens propres dans la famille au détriment de leur unité - sera malheureusement privilégiée au XVIe siècle par l’autorité royale renforcée. Ce faisant, le pouvoir royal a tracé la route des révolutionnaires qui, en 1790, voulurent briser les grandes fortunes.

L’application, enfin, du principe paterna paternis materna maternis aux ascendants (grands-parents ou aïeux, arrière-grands-parents ou bisaïeux, arrière-arrière-grands-parents ou trisaïeux) n’a jamais été assurée dans le temps ni dans l’espace. Au XIIIe siècle, Beaumanoir écrivait certes qu’en coutume de Beauvaisis, les ascendants dont le défunt avait hérité ses biens propres les recueillaient à sa succession, par priorité sur les collatéraux. Mais, à la même époque, comme plus tard en Auvergne, le Très ancien coutumier de Normandie n’admettait la prétention des ascendants sur ces propres qu’à défaut de collatéraux du de cujus, au motif que ces biens descendaient « comme quelque chose de lourd » (Bracton, De legibus et consuetudinibus Angliae, II, XXIX, 1). A Paris, les ascendants passent, aux XIVe et XVe siècles, après les collatéraux privilégiés - frères et sœurs - du défunt, mais avant ses collatéraux ordinaires - cousins et cousines, oncles et tantes, neveux et nièces. Formulée sous forme d’un joli brocard, Propres ne remontent, cette règle sera infléchie sous la Renaissance qui verra les ascendants prioritaires sur les collatéraux (arrêt du Parlement de Paris, 1676), les juristes veillant seulement à ce que les biens paternels tombent dans l’escarcelle des ascendants paternels, et les biens maternels dans celle des ascendants maternels (Charles Dumoulin, Notae solemnes sur la coutume de Paris, 129, et sur la coutume d’Artois, 74 et 107). A qui attribuait-on enfin les biens propres chaque fois que le défunt n’avait ni descendant, ni collatéral, ni défunt de la branche familiale dont ces biens étaient issus ? La plupart des coutumes, au Moyen-Age, était conséquentes : les biens venaient enrichir le seigneur local, ce qui contribuait à répandre sa prospérité et son autorité dans la région. Plus tard, sous la Renaissance, ces biens allaient revenir au Roi. Puis cette coutume parut odieuse à beaucoup de juristes qui, croyant bien faire, décideront d’allouer les biens propres d’une branche « morte », si l’on peut dire, à l’autre branche familiale. Ce faisant, ils ruinèrent et enterrèrent le grand principe de conservation des biens dans la famille qu’était paterna paternis materna maternis.

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