En avril 2018, le gouvernement Macron annonçait, sans concertation préalable avec le milieu rural, sa volonté d’interdire l’usage en agriculture du glyphosate dès le 1er janvier 2021. Commercialisé notamment - mais non exclusivement - par Monsanto sous la forme du fameux Round up, ce fameux herbicide foliaire, qu’on répandrait dans le monde entier sur les cultures à raison de 0,5 kg par hectare, essuie régulièrement la vindicte d’une faction d’écologistes hystériques. Assurément, on leur concède que le glyphosate n’est biodégradable dans le sol qu’après une période qui peut s’étirer de 20 à 100 jours. Il semble avéré également que ses pulvérisations sont nocives aux insectes. Elles seraient même, selon le Centre International de Recherche sur le Cancer, probablement à l’origine de cancers pour les ouvriers agricoles qui s’y exposent. Son rapport de mai 2015 a toutefois été mis à l’encan quand il s’est su qu’outre l’imprécision de son processus d’analyse, il avait été rédigé sous l’influence d’un toxicologue en situation de conflit d’intérêts… Aujourd’hui, nul ne peut ignorer que plus d’une dizaine d’agences sanitaires ont jugé improbable le caractère cancérogène des produits alimentaires qui ont été traitées par glyphosate (FAO, JMPR, AEPC, EFSA, etc). Cette convergence des avis scientifiques a déterminé la Commission européenne à prolonger pour cinq ans l’usage le 12 décembre 2017.
Sous l’inspiration de son ancien ministre de l’écologie Nicolas Hulot, le gouvernement français a choisi d’emblée de choisir son camp, celui qui, dans la communauté scientifique, est pour le moins isolé. On comprend que l’annonce de cette mesure ait suscité une levée de boucliers chez les agriculteurs et leurs représentants syndicaux (FNSEA, Coordination rurale, Confédération paysanne, Jeunes Agriculteurs). Le glyphosate est la seule molécule sur le marché qui éradique pleinement les « mauvaises herbes » et qui garantisse à la production céréalière et maraîchère sa capacité à s’élever au seuil de rentabilité. En l’absence de produit phytosanitaire de substitut, les instituts de recherche (INRA, Arvalis) ont certes proposé de combiner sélection de semences résistantes, faux semis, interculture, rotations raisonnées, intervention sur les « adventices » à la montaison et à la levée par herses étrilles ou bineuse. Ces nouvelles techniques culturales (NTC) n’imposent pas seulement une formation biologique que n’ont pas nécessairement tous nos agriculteurs, surtout lorsque ceux-ci sont âgés. Elles requièrent surtout un investissement financier considérable de leur part, quand on sait qu’un tel matériel de désherbage coûterait 950 millions d’euros pour les producteurs français de céréales et 12,7 millions d’euros de main d’œuvre supplémentaire. Le rapport intermédiaire d’une récente mission d’information commune parlementaire dirigée par des députés LREM admet lui-même que l’arrêt du glyphosate coûtera en tout de 2 à 3 milliards d’euros à l’ensemble des filières grandes cultures ! Elle provoquera pour chaque agriculteur un « alourdissement des charges des exploitations » qui « varierait de 50 € à 150 € » par hectare...
Un citoyen français, même citadin, ne peut demeurer insensible face aux difficultés financières dans lesquelles un tel dispositif jettera nos agriculteurs. Ceux-ci sont déjà constamment menacés par une concurrence déloyale émanant d’Etats qui se gaussent allègrement de nos impératifs écologiques et utilisent le glyphosate à des doses qui seraient interdites sur notre sol. Nos paysans sont compressés par les prix que leur soutirent les distributeurs de grande surface. A ces problèmes financiers s’ajoute une entreprise de démoralisation croissante. Les médias les dénigrent et les culpabilisent sans relâche. Des militants antispécistes s’introduisent de nuit dans leurs élevages. Des agriculteurs sont physiquement malmenés dans leurs champs, en plein épandage. Des tribunaux les condamnent à verser plusieurs milliers d’euros au titre des odeurs ou les bruits que leur ferme cause aux citadins venus s’installer à proximité.
Aussi, la fin du glyphosate ne serait légitime qu’à la condition que notre pays en tire un substantiel avantage commun pour la collectivité. Or, rien n’est plus inexact ! Le monde rural dénonce depuis trois ans, et à juste titre, l’hypocrisie écologique outrancière de cette mesure. Suprême camouflet, l’Association générale des producteurs de céréales (AGPB), citée par le rapport parlementaire, prédit que le matériel alternatif de désherbage fera quadrupler la consommation de carburant et produire ainsi 226 000 tonnes de CO2 supplémentaires ! D’aucuns ajoutent que les outils mécaniques de substitution viendront, par un travail incessant du sol, libérer le carbone piégé dans le sol par les champignons mycorhiziens en arbuscules, si bien que davantage de dioxyde de carbone serait projeté dans notre atmosphère (France Agricole, 15 novembre 2019, Courrier des lecteurs, p. 12). En somme, l’interdiction du glyphosate pourrait être une source de pollution environnementale supérieure à son maintien ! Précisons en outre que des expériences d’utilisation concluante du glyphosate à doses homéopathiques (1,5 microlitre par m2) ne tuent ni la micro-faune ni la micro-flore et ne laissent aucun résidu pesticide.
Ce n’est donc pas se ranger parmi les thuriféraires de l’agriculture « industrielle », que de rejoindre la masse des opposants à l’arrêt du glyphosate. Cette agriculture ne mérite pas notre sympathie, tant elle a défiguré nos champs par ses monocultures, provoqué l’exode rural, favorisé l’endettement des agriculteurs, le développement d’une production alimentaire insipide et contribué, par ses volumes, aux échanges mondiaux d’aliments. Comme bien d’autres, nous sommes viscéralement attachés au retour à la ruralité. Le terroir forme la seule réalité dans laquelle l’homme trouve sa juste proportion, le sens du Beau, un bon sens dans les tâches quotidiennes et, par-dessus tout, sa condition virile. Mais il faut savoir raison garder. Nous préconiserions avec entrain l’arrêt immédiat du Round up et même de tout produit phytosanitaire si, comme naguère, notre pays pratiquait une agriculture autarcique, s’il refusait d’importer des produits alimentaires étrangers, si quatre millions de paysans travaillaient la Terre de nos morts et si, encore, les ménages consommaient sans s’en plaindre 40 % de leur budget dans une alimentation saine. Dans une telle France, que nous souhaitons éternelle, nous serions les premiers à soutenir la prohibition du glyphosate. Mais aujourd’hui, dans ce monde de libre-échange tous azimuts, les clémentines des étals des supermarchés viennent d’Espagne, les haricots verts du Maroc et les champignons de Pologne. Le consommateur n’est pas prêt à sacrifier ses loisirs et son smartphone pour mieux s’alimenter. Et surtout, la France ne compte plus que 465 000 agriculteurs. En d’autres termes, la révolution écologique qui s’annonce dans l’arrêt du glyphosate ne peut s’inscrire que dans le cadre d’un changement radical et plus global du Système lui-même. A défaut de lui être postérieure, elle ne causera sans profit que la ruine de nos paysans.
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