Les contrats de crédit immobilier comportent systématiquement une clause de style que les banques intitulent tantôt « clause d’exigibilité anticipée » ou « clause de déchéance du terme », que les médias passent sous silence, même lorsqu’ils se prétendent favorables aux emprunteurs. En vertu de cette stipulation, le défaut de règlement d’une seule mensualité du crédit autorise l’établissement de crédit, après mise en demeure, à exiger, non seulement le règlement des mensualités impayées, mais plus encore : le remboursement de la totalité du capital emprunté, auquel s’ajoutent tous les intérêts conventionnels prévus ! Le caractère aberrant sur le plan financier de ce mécanisme est insuffisamment mis en exergue. Voici notre particulier, n’ayant accepté de contracter un crédit que parce qu’il n’avait pas le capital, qui se trouve subitement tenu de rembourser une somme qu’il n’a jamais eue ni qu’il n’aura jamais. On n’imagine pas l’effet l’effet psychologique qu’une telle stipulation produit en matière immobilière. Quel salarié raisonnablement prudent et conscient se lancerait dans l’entrepreneuriat si, faute de revenus gagnés dès le premier mois de cette entreprise, il n’est pas en mesure de régler sa prochaine mensualité de crédit ? Il risquerait, à la demande de sa banque, d’être condamné par le Tribunal de Grande Instance à régler une somme qui excède notablement ses ressources financières et, à l’issue d’une autre procédure judiciaire devant le juge de l’exécution, de voir son bien immobilier saisi. Et s’il a commis l’imprudence de signer un contrat de crédit devant notaire, la banque ainsi munie d’un titre exécutoire, n’aurait nullement besoin de solliciter un jugement du Tribunal de Grande Instance et pourrait immédiatement saisir sa demeure…
Par quoi l’on voit que ce qui verrouille la spirale infernale « salariat – crédit – propriété », que nous avons dénoncée dans un précédent article, est bien cette clause dite de déchéance du terme. Si elle n’était pas stipulée ou si elle était jugée invalide, salariés et entrepreneurs, s’extirpant de tout surmenage, recouvreraient leur liberté pour se concentrer davantage sur leur famille, exercer leur esprit critique et contribuer plus abondamment à la dissidence. Cependant, la jurisprudence de la Cour de cassation valide constamment cette clause d’exigibilité anticipée depuis près de quatre décennies (Cass. 1re civ., 30 octobre 1984, n° 82-14062), se contentant d’en subordonner l’effet à une mise en demeure préalable de la banque à l’emprunteur (Cass. 1re civ., 3 juin 2015, n° 14-15655 ; 22 juin 2017, n° 16-18418 ; 27 juin 2018, n° 17-18418).
Il n’est pas dans notre propos de déterminer si les magistrats de la Cour de cassation, qui sont réputés tous francs-maçons, ont conscience d’aliéner ce faisant la liberté des classes moyennes. Nous ne pouvons l’exclure, mais le dénoncer sans preuves concrètes nous apparaît vain. Aussi, notre intention est plus simplement de démontrer que la validité telle quelle de cette clause est tout sauf évidente et qu’elle doit être âprement combattue par les associations, dans les prétoires et sur les réseaux sociaux. Pour cela, il faut garder en mémoire qu’en droit romain, le prêt d’argent (mutuum) ne faisait naître à la charge de l’emprunteur qu’une seule obligation, celle de rembourser d’une traite les deniers prêtés à la date convenue et, si les parties l’avaient ajouté par des formules sacramentelles (stipulatio), de payer en plus un intérêt (nexus). L’obligation de l’emprunteur – et c’est le point névralgique de notre démonstration - était unique. Il n’était évidemment pas question pour le créancier de se rendre chaque mois devant le huis de son débiteur pour en emporter dans un sac ou un coffre-fort une fraction du capital et des intérêts sous forme d’as, de sesterces, de deniers ou de quinaires. Le remboursement se faisait d’une traite, à l’échéance. Ce schéma s’est reproduit au Moyen Age puis sous l’Ancien Régime. Au point que le Code civil l’a reçu implicitement en 1804 à l’article 1895 alinéa 1er (« L'obligation qui résulte d'un prêt en argent n'est toujours que de la somme numérique énoncée au contrat »). Puis le train postal et le mandat postal sont apparus en 1817, la lettre recommandée à Paris en 1829 et en province en 1844, le chèque en 1865, le chèque barré en 1911 et le virement bancaire au XXe siècle tel que nous le connaissons. Grâce à ces procédés de transport facilitant le transfert d’argent, l’emprunteur pouvait régler chaque mois un certain nombre de mensualités constitutives d’une fraction du capital et des intérêts. Et qui peut finit par devoir : s’est ainsi répandue une nouvelle configuration du crédit bancaire par laquelle l’emprunteur doit verser ces mensualités.
Or, cette donnée inédite dans l’Histoire du crédit bancaire n’a pas été prise en compte par l’analyse juridique, alors même qu’elle transparaît dans un document contractuel, le tableau d’amortissement que le banquier annexe à tout contrat de crédit immobilier. La doctrine universitaire continue pourtant à professer que l’emprunteur réglant ces nombreuses mensualités n’est tenu que d’une obligation de remboursement. Ce discours paraît incohérent lorsqu’on le confronte aux textes de loi. Selon le Code civil, le paiement est l’exécution volontaire du débiteur qui éteint « la » dette (art. 1342 C. civ). Le Code ajoute que le créancier peut refuser un paiement partiel (art. 1342-4). Si l’on poussait donc la doctrine précitée dans ses retranchements, on parviendrait à la conclusion absurde suivante : soit les règlements de mensualités ne sont pas des paiements - alors même qu’ils sont des transferts de fonds sans intention libérale - parce qu’ils n’éteignent pas la dette de remboursement de l’emprunteur ; soit ils ne constituent que des paiements partiels de la dette unique de l’emprunteur, mais alors le banquier pourrait les refuser… Tout ceci n’a ni queue ni tête. Le banquier peut en effet réclamer le versement de ces mensualités : ce qui démontre que ces versements correspondent à des paiements complets d’une dette. Or, si chaque fois qu’il règle une mensualité, l’emprunteur éteint « la » dette correspondante, il faut en déduire qu’il est tenu de plusieurs dettes de remboursement : autant de dettes que son tableau d’amortissement comprend de mensualités. Ce n’est d’ailleurs qu’à cette condition, déterminante de son consentement, que le particulier a accepté d’emprunter. Or cette manière réaliste d’appréhender ses obligations est propre à bouleverser l’analyse de la clause de déchéance du terme.
Sous cette perspective en effet, l’absurdité des intitulés de cette clause litigieuse - « déchéance du terme » ou « exigibilité anticipée » - ne peut plus être dissimulée au public. Si l’emprunteur ne règle pas une mensualité exigible, par exemple celle d’avril 2020, il ne sert à rien d’en avancer le terme, puisque celui-ci est déjà advenu. Et il n’est aucune raison non plus de déchoir l’emprunteur du terme, non encore survenu, de ses autres dettes de remboursement (mai, juin, juillet, etc.) : rien ne permet de présumer qu’il ne s’en acquittera pas. N’omettons pas non plus que par principe, les obligations d’un contrat sont indépendantes les unes des autres. S’en trouve juridiquement impossible la déchéance du terme d’une obligation non exigible (mai, juin, etc.) qui serait fondée sur l’inexécution d’une autre obligation, elle exigible (avril). Il n’est pas non plus recevable de prétendre que l’emprunteur a renoncé par avance au bénéfice de ces termes. En Droit, une renonciation ne peut porter que sur un droit acquis. Autrement dit, un emprunteur ne peut pas renoncer par avance, dans le contrat de crédit, au calendrier de son tableau d’amortissement sous quelque prétexte que ce soit, même le défaut de paiement d’une échéance. La dénomination de la clause litigieuse conduit à un cul-de-sac.
Sans doute consciente de cette difficulté, une partie de la doctrine universitaire qu’on peut suspecter de connivence avec le milieu bancaire, s’est évertuée à défendre la validité de cette clause en lui prêtant une autre qualification, celle de clause résolutoire (A. Bénabent, Les contrats spéciaux, Domat Monchrestien, 7e éd., n° 860 ; Les obligations, Domat Monchrestien, 8e éd., n° 390). Rappelons qu’une clause résolutoire est une stipulation qui, dans un contrat, déclenche son extinction (« résolution ») de plein droit en cas d’inexécution de ses obligations par celui des contractants qu’elle sanctionne (art. 1225 C. civ.). En invoquant la clause d’exigibilité anticipée, le banquier prétexterait de l’inexécution d’une seule obligation de l’emprunteur, le versement d’une mensualité du crédit, pour éteindre l’intégralité du contrat et ainsi exiger le remboursement immédiat de la totalité des autres mensualités. La Cour de cassation semble faire sienne cette analyse, dans la mesure où elle a rendu ses trois arrêts précités (Cass. 1re civ., 3 juin 2015, n° 14-15655 ; 22 juin 2017, n° 16-18418 ; 27 juin 2018, n° 17-18418) sous le visa de l’ancien texte 1184 du Code civil qui régissait la résolution du contrat. Ce raisonnement, de prime abord séduisant, n’est en réalité pas convaincant du tout. Le contrat de crédit est-il vraiment rompu par la « déchéance du terme » mise en œuvre par l’établissement de crédit ? Que nenni, il produit tous ses effets entre les parties, hormis le bénéfice des échéances qui avaient été stipulées au profit de l’emprunteur. Celui-ci doit non seulement rembourser le capital de son crédit, mais aussi acquitter les intérêts conventionnels et la prime d’assurance. En somme, le prêt subsiste à l’ancienne, comme à l’époque romaine, médiévale ou napoléonienne. Qu’on ne nous réplique pas que la situation est voisine de la nullité du contrat de prêt, autre mode d’extinction du contrat, qui oblige l’emprunteur à rembourser le capital. Car, dans ce cas, l’emprunteur d’un crédit nul ne doit ni les intérêts ni la prime d’assurance. Il est par conséquent faux d’alléguer que la clause de déchéance du terme emporte la résolution du contrat de prêt.
En définitive, tout ceci démontre à loisir que cette clause n’a aucun fondement en droit, est illégale et ne doit sa survie en jurisprudence et en doctrine qu’à la faveur réservée aux établissements de crédit.
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