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Photo du rédacteurJean Le Hussard

L’abandon du clan familial romain aux sources de la consécration du mariage homosexuel (1/6)

Dernière mise à jour : 3 mai 2020


Le premier ouvrage de Me Damien Viguier paru aux éditions Kontre Kulture, intitulé De la famille clanique au couple parental homosexuel (2015), nous inspire un certain nombre de réflexions tant la thèse qu’il y développe est susceptible de frapper les imaginations des opposants au mariage sexuel. Ce mariage, qui réalise une substitution de l’homme à la femme pour les invertis, ou de la femme à l’homme pour les séraphiques, serait pour ce brillant auteur l’aboutissement tardif d’un phénomène ancien : celui d’une indifférenciation juridique des statuts masculin et féminin que l’Empereur Justinien, au VIe siècle, avait introduite dans le domaine des successions au livre 38 de son Digeste. S’en déduit d’emblée, par antithèse tacite, que la loi n° 2013-404 du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de même sexe, dite « Loi Taubira », qui vient briser le modèle chrétien du couple d’Adam & Eve, ne trouverait pas sa causa prima dans les récentes revendications de la LGBT, ni même dans la seule action des loges franc-maçonnes pourtant actives, ni les décisions favorables à cette reconnaissance de la Cour européenne des Droits de l’Homme (dont certains membres sont étroitement liés à George Soros), ni dans l’égalité juridique entre hommes et femmes établie par la Déclaration des Droits de l’Homme du 26 août 1789, ni même encore dans une certaine entreprise rabbinique, bien décrite par le Protocole des Sages de Sion, dont le dessein est de dépraver les Gentils et de les soumettre au Peuple prétendu Élu.

Pour défendre sa thèse, Me Viguier prend pour point de départ de son analyse l’état du droit successoral en droit romain archaïque dont la loi des XII Tables (V, 4 et 5), adoptée en – 450 av. NSJC, est le premier texte juridique fondateur. La disposition essentielle y déclare que « si meurt sans testament celui qui n’a pas d’héritier sien, que l’agnat le plus proche ait le patrimoine. S’il n’y a pas d’agnat, que les membres de la gens aient le patrimoine ». Les héritiers siens (heredes sui) sont les descendants directs du défunt, par hypothèse le mâle le plus âgé encore vivant - père (paterfamilias), grand-père (avus), arrière-grand-père (proavus), arrière-arrière-grand-père (tritavus) - pour peu qu’ils fussent soumis de son vivant à son pouvoir (potestas) parce qu’ils vivaient avec lui dans la maison familiale (domus). En somme, ce sont ses fils (filii) non émancipés, mariés ou non, ses filles (filiae) non mariées ou mariées sans être assujetties à leur mari (sine manu), ainsi que leurs enfants, petits-enfants, etc., sans limite de degré. Tous ces descendants directs viennent continuer la propriété du défunt qu’ils se répartissent à égalité entre frères et sœurs et, si l’un est pré-décédé au paterfamilias en laissant une descendance, à égalité entre les souches (ex : partage par moitié entre le fils, d’une part, et les fils et filles de sa sœur, d’autre part, qui se distribuent eux-mêmes la moitié de la part entre eux par tête). Ce premier ordre de succession est instructif à plusieurs égards. Il suggère d’emblée que la domus romaine s’organise, sur un mode patriarcal, autour d’un chef de famille, homme âgé, qui n’est pas forcément le père des plus jeunes. En outre, au sein des descendants directs, les garçons et filles occupent une position égale pour la répartition de l’héritage. Aucun droit d’aînesse, aucune discrimination sexuelle, pour employer un vocabulaire en vogue, ne paraît les opposer de prime abord (J.-P. Lévy, A. Castaldo, Histoire du droit civil, Précis Dalloz, 1re éd., n° 775). Les quatre filles du Docteur Marchus – si l’on nous permet ce jeu de mots – héritent de leur père, même si celui-ci n’a pas de fils ; l’héritage n’ira pas, par exemple, à leur oncle paternel ou leur cousin paternel (consorbrinus patruus). Pourtant, on ne comprendrait rien à la familia romaine si l’on perdait de vue qu’elle constitue le paradigme anthropologique du clan indo-européen. De sorte, en premier lieu, que les filles qui se sont mariées sous la sujétion de leur mari (cum manu), ayant quitté la maison familiale et donc rejoint un autre clan familial, n’héritent pas de leur père, grand-père, arrière-grand-père, etc. En second lieu, les filles héritières n’héritent que d’une propriété viagère, quand celle des fils est héréditaire. A leur mort, les biens des filles feront retour, non à leurs propres enfants, mais aux membres de la famille de leur paterfamilias, ces agnats de qui nous allons bientôt parler, alors que les biens familiaux transmis aux fils le seront à leurs enfants, garçons ou filles. Se marient-elles ensuite cum manu que cet héritage sera démembré au profit des mêmes agnats et qu’elles n’en conserveront que la dot apportée à leur mari. Par quoi l’on saisit que le statut de la fille, s’il paraissait égal aux yeux d’un contemporain, n’est finalement pas identique à celui du fils : elle ne s’y assimile que tant qu’elle reste, vivante, dans le clan familial. Elle est consubstantiellement un membre de la famille destiné à en sortir. Son héritage ne sert pas à perpétuer la propriété familiale, comme celui des fils, mais sert en quelque sorte, dirions-nous, d’appât dans un milieu romain où les alliances matrimoniales mêlent considérations de pouvoir et de patrimoine. Là où le fils (filius) perpétue les armes et le nom du défunt, la fille (filia), qui apporte une dot et sa fécondité à un clan allié, est le pont qui assure l’indispensable alliance des clans familiaux dans un monde brutal et guerrier. En définitive, statuts et fonctions de la femme et de l’homme, divergent notablement dans la vocation successorale des fils et filles.

La quintessence clanique de la familia romaine s’exprime plus encore dans la figure des agnats constituant le second ordre successoral, qui héritent du défunt toutes les fois que celui-ci n’a aucune descendance directe. L’agnat (adgnatus) s’entend de tout membre collatéral de la famille du défunt relié à lui par la ligne masculine : ses frères et sœurs germains (issus des mêmes parents) ou consanguins (demi-frères et sœurs paternels, dans notre langage moderne), ses oncles paternels, ses cousins paternels (consorbrini patrui), ses neveux paternels, etc. Ils forment le clan patrilinéaire. Afin d’éviter une dispersion patrimoniale, le droit romain archaïque ne prévoit aucun partage par souches ni de représentation (successio in loco) comme il le fait pour les descendants lorsque les prétendants sont de degré différent. La règle qu’il édicte est simple : l’agnat le plus proche (adgnatus proximus), par exemple le frère du défunt, hérite seul à l’exclusion des agnats plus éloignés tels son fils, ses neveux ou cousins. S’il existe plusieurs agnats de même degré, par exemple plusieurs frères, ils se partagent la succession par tête. De la liste des agnats sont donc exclus tous ceux qui appartiennent à un autre clan : les ascendants maternels du défunt (parâtre, marâtre, grand-père et grand-mère maternels), leurs frères et sœurs, leurs cousins, cousines, neveux et nièces, enfants et petits-enfants sans limite de degré. Ce second ordre successoral, qui compose la familia romaine extérieure au foyer (domus) n’est composé que d’hommes, à l’exception notable de la sœur germaine ou consanguine du défunt. Cette règle, qui n’apparaît pas explicitement dans la loi des XII Tables, paraissait à ce point cruciale pour les sénateurs et les différentes assemblées votives (comices curiates, centuries et tributes) qu’une loi Voloconia vint rappeler à titre interprétatif que cette exclusion avait toujours été de mise (P.-F. Girard, Manuel élémentaire de droit romain, éd. 1906, p. 841). Là encore, un seul terme féminin dans cette masse d’hommes : la sœur du défunt, commune à lui par leur père, peu important qu’elle le fût par leur mère. Encore était-elle soumise aux mêmes restrictions que la fille du défunt, en vue de préserver également la pérennité du patrimoine familial : qu’elle se mariât cum manu ou décède, ses biens familiaux se transmettaient à ses agnats, sans pouvoir ni être remis à son mari ni à ses enfants - qui appartiennent dans le système patrilinéaire à la famille de leur père et non celle de leur mère.

Le troisième et dernier ordre successoral, les membres de la gens, prescrit par la loi des XII Tables est tout à fait édifiant, tant sur le plan positif que négatif. On a discuté de savoir si la gens héritait en bloc, collectivement, ou si son membre le plus proche du défunt héritait. Peu nous en chaut. Positivement, la gens nous semble une notion très mal identifiée par la doctrine universitaire moderne, qui n’y voit - à la suite de Gaius qui en constatait tardivement la décrépitude au IIe siècle ap. NSJC – l’expression vague et lointaine du clan auquel se rattache la familia romaine. Cette opinion, unanimement soutenue par les historiens et même par Me Viguier, nous pose personnellement difficulté. Notre ingénieux auteur reconnaît lui-même que la famille agnatique est un pléonasme, ce qui implique qu’elle désigne la familia romaine ; et toute sa démonstration prouve que la figure du clan se développe dans cette familia, ce dont il faut déduire que la gens est autre chose que ce clan. Nous y reviendrons dans une prochaine chronique. Pour l’heure, contentons-nous de rappeler que le plébéien, selon Max Weber, est celui qui ne peut nommer ses pères : il n’appartient pas à un clan, il en forme un. Or la gens, étymologiquement, renvoie à la race, à la génération, et nous paraît dès lors constituer une survivance successorale propre au groupe ethnique différent des patriciens (en ce sens, Guérard, Essai sur l’histoire du droit privé des Romains, 1841 ; E. Lagrange, Manuel de Droit romain, éd. Mulot Videcoq, 1850). Ce qui prime pour notre propos, dans le cadre de cette chronique restreinte, c’est l’aspect négatif de ce troisième ordre. L’épouse du défunt, qui n’est ni sa descendante, ni son agnate, ni membre de sa gens, n’est donc pas son héritière. Ceci n’est pas scandaleux si l’on veut bien se souvenir que bien que s’unissant à lui, elle n’est pas membre de la famille de ce dernier, si du moins elle se marie à lui sine manu, parce qu’alors elle ne quitte pas sa famille et en demeure membre. Son rôle principal, bien identifié par les anthropologues, est de permettre à son mari d’avoir une descendance qui perpétue son propre clan. Péjorativement, elle est donneuse d’ovocyte. Il n’en va différemment que si elle se marie cum manu, accepte donc la sujétion de son mari et quitte son propre clan : auquel cas elle héritera de son mari quasi filiae, comme si elle était sa fille. Où l’on peut conclure qu’en droit romain archaïque, les statuts et fonctions des femmes (fille, sœur, épouse) étaient totalement distincts de ceux des hommes (fils, frère, époux), empêchant toute assimilation et substitution entre eux. La consécration d’un mariage homosexuel, à supposer qu’il puisse moralement être admis, eût été juridiquement impossible.

Or, dès la fin de la République, durant la période « classique » du droit romain et en tout cas à l’époque de Labéon (P. F. Girard, Manuel élémentaire de droit romain, éd. 1906, p. 844), les magistrats (praetores) avaient permis par des voies détournées aux cognats, c’est-à-dire aux membres de la famille du défunt par la ligne maternelle - oncles et tantes maternelles, leurs enfants et petits-enfants - de recevoir en qualité de possesseurs (bonorum possesores unde cognati) une partie de son héritage à défaut d’agnats à la succession ; l’épouse survivante pouvait aussi prendre une part dans les mêmes conditions subsidiaires (bonorum possessio unde vir et uxor). C’était déjà entamer sérieusement l’unité du clan, puisque les biens d’un clan iraient à un autre. Mais ces possessions n’intervenaient précisément que dans l’hypothèse où aucun descendant ni agnat du défunt ne pouvait réclamer l’héritage. Des sénatus-consultes (Tertullien et Orfitien) allèrent plus loin au IIe siècle de notre ère : l’épouse put, en droit civil, hériter de ses enfants et ses enfants d’elle. La logique clanique se fissurait. L’Empereur Justinien la fit voler en éclats en 543 et 548 en remaniant totalement les ordres de succession. Sans entrer dans le détail technique de ces dispositions, contentons-nous d’indiquer que succédaient dorénavant en premier ordre les descendants sans limitation de degré ; en second ordre, les ascendants sans distinction de ligne paternelle ou maternelle, avec les frères et sœurs germains ; en troisième, les frères et sœurs consanguins (demi-frères et sœurs paternels) et utérins (demi-frères et sœurs maternels) ; en quatrième ordre, le plus proche des autres collatéraux sans distinction de ligne non plus (cousins, neveux) ; et enfin, l’épouse survivante, en qualité de possesseur d’hérédité. Ce faisant, Justinien enterrait la logique clanique de protection patrimoniale et commandait la transmission des biens du défunt à d’autres familles. En effaçant surtout toute différence dans les conditions masculine et féminine, il justifierait leur indifférenciation juridique ; et partant la substitution de l’homme à la femme et réciproquement, de quoi fonder, mille cinq cents ans plus tard, la reconnaissance en droit du mariage homosexuel.

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