Un incendie a ravagé l’usine Lubrizol, installation classée Seveso à haut risque, à Rouen dans la nuit du 25 au 26 septembre 2019, provoquant dans un rayon de cent kilomètres l’émanation de fumées et de suies provenant de ses produits chimiques, principalement des additifs pour lubrifiants. L’origine de cette catastrophe industrielle demeure inconnue à ce jour, comme l’est encore celui de l’explosion d’AZF de 2001. Trois causes principales s’envisagent dès à présent et sont discutées par les protagonistes. La première, ressortissant à la contingence, considère que l’incendie de Lubrizol est une illustration du risque ordinaire, en hausse (1112 en 2018 contre 827 en 2016), d’accidents inhérent au traitement des installations classées. Cette conviction, partagée par beaucoup, les a déterminés à se demander si la responsabilité de l’Etat pourrait être recherchée. Des avocats ont souligné en effet que la loi Essoc d’août 2018 ayant adopté des mesures de simplification en 2018 au profit des sites Seveso, le Préfet de Haute Normandie avait autorisé l’année suivante Lubrizol à multiplier par deux ses capacités de stockage de produits dangereux. Les uns annoncent qu’il n’aurait pas réclamé, au préalable, et comme il le pouvait sans y être désormais obligé, une nouvelle étude d’impact environnemental sur le site de la part de l’entreprise. Le gouvernement prétend le contraire, ce qui est insolite, sachant que les informations sur les produits ayant brûlé, qui seraient contenues dans une telle étude, ont été communiqué fort tardivement par la Préfecture…
Une deuxième causalité, avancée pour sa défense par le Préfet de région, résiderait dans des négligences que l’entreprise Lubrizol aurait commises dans le stockage de ses produits dangereux. Des non-conformités auraient été relevées sur le site au niveau de la défense incendie de certains récipients. Il est vrai que devant la commission d’enquête sénatoriale du 18 novembre 2019, la directrice générale de Lubrizol France, Mme Isabelle Striga, n’a pas été en mesure de tout expliquer, notamment les relations de l’usine avec le voisin, son sous-traitant Normandie Logistique, dont les entrepôts stockaient une partie des produits Lubrizol, cependant non concernés par la réglementation Seveso. Il s’est avéré qu’aucun protocole de sécurité conjoint n’avait été mis en place entre les deux entreprises, qui aurait mis en évidence que la réserve d’eau de 2000 m3 était insuffisante en cas d’incendie. On pourrait néanmoins, sans prétendre assumer la défense de Lubrizol, répliquer que ces diagnostics n’expliquent pas le démarrage de l’incendie, mais seulement sa progression fulgurante.
Reste la troisième cause possible, celle de la malveillance, qui ne peut d’emblée être exclue. Dès le 27 septembre, Lubrizol estimait improbable que l’incendie se soit déclaré dans ses entrepôts. La directrice générale de Lubrizol France, Mme Isabelle Striga, a même ajouté, lors de son audition devant la commission d’enquête sénatoriale, que « selon nos bases de données, un incendie en interne a une chance de se déclencher seulement tous les 100 000 ans ». Or il n’est pas non plus démontré que le départ d’incendie proviendrait du local de Normandie Logistique et ce d’autant qu’il n’abrite pas les produits dangereux. Surtout, un représentant du personnel a indiqué à la presse que les premiers salariés arrivés sur place avant les pompiers auraient constaté que le feu se trouvait à l’extérieur du hangar. Si le feu avait débuté à l’intérieur, il aurait été éteint rapidement par un système de douche... Les vidéos de surveillance, en cours d’examen par la justice, permettront peut-être d’y voir plus clair.
Quoi qu’il en soit, sur le plan agricole, deux jours après l’incendie, un arrêté préfectoral du 28 septembre 2019 restreignait, par application du principe de précaution, la mise sur le marché de denrées agricoles (lait, œuf, productions végétales récoltées après le sinistre) issues de ces zones, dont la consignation a été ordonnée par l’ANSES. Etaient concernées 3140 exploitations, notamment herbagères, survolées par les fumées de l’incendie, dans cinq départements des Hauts-de-France et de Normandie. Pendant que les résultats des analyses étaient examinés par l’agence nationale de la santé, les éleveurs laitiers jetaient 700 000 litres de lait par jour... Finalement, les résultats des prélèvements sur la dioxine, les furanes, PCB, HAP et éléments-traces métalliques tombaient le 11 octobre pour le lait, les produits laitiers. Les seuils maximaux réglementaires n’étaient pas dépassés ! La consignation fut, pour ces produits, levée le même jour. Puis le 19 octobre, après 502 analyses complémentaires, le miel, les œufs, les poissons d’élevage, les légumes, les fruits, la betterave et le fourrage pouvaient désormais être vendus. Les concentrations des substances demeurent toutefois supérieures aux niveaux habituels, ce qui a déterminé, au risque de créer une défiance des consommateurs, l’ANSES à maintenir une surveillance sur ces exploitations.
Tous les acteurs, il faut le saluer, n’ont pas manqué n’apporter un soutien financier aux agriculteurs dont les exploitations ont été survolées par les fumées. La région Normandie a débloqué 5 millions d’euros sous la forme d’une avance plafonnée à 10 000 € par exploitation. Le ministre de l’agriculture a promis des indemnisations « rapides » dès le 30 septembre par la voie du fonds national agricole de mutualisation sanitaire et environnemental (FMSE). Il a vocation à être abondé par un fonds de solidarité créé par Lubrizol et non à partir des cotisations annuelles des agriculteurs. Les préjudices totaux de ces derniers sont estimés par la DGAL de 50 millions d’euros. On observe toutefois que les entreprises de travaux agricoles, qui interviennent à la demande des agriculteurs pour réaliser leurs récoltes, ont perdu 7000 € par jour et par machine, du 28 septembre au 11 octobre, sans qu’ils ne soient visés ni par l’arrêté ni pas les mesures d’indemnisation, ce qui consomme vraisemblablement une rupture de l’égalité des citoyens devant les charges publiques.
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