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Photo du rédacteurJean Le Hussard

La nouvelle bataille politique d’E&R : la destitution du Président Macron par les parlementaires


Décidément offensive ces derniers temps contre le pouvoir en place, l’association E&R appelle sur son site ses adhérents et plus généralement les internautes à transmettre à leur député un courrier pré-rédigé en vue d’initier une procédure de destitution du Président Macron. Le texte, dont le ton est volontiers menaçant, mérite d’être cité en intégralité : « Madame ou Monsieur le Parlementaire, d’après l’article 68 de la Constitution et la Loi organique du 24 novembre 2014, dans le cas de manquement aux devoirs d’un président de la République manifestement incompatible avec l’exercice d’un mandat, une Haute Cour peut prononcer la destitution du chef de l’État. L’initiative de cette procédure vous appartient : un dixième des parlementaires de l’une ou l’autre chambre dépose sur le bureau de leur assemblée une proposition motivée de résolution portant mise en accusation et tendant à la réunion de la Haute Cour.

Si vous n’agissez pas, vous serez responsable des exactions qui se commettent actuellement dans le cadre de ‘la crise du Coronavirus’. Je vous prie de bien vouloir agréer, Monsieur le Député, l’expression de ma haute considération ».

L’article 68 dont il s’agit organise, depuis une loi du 23 février 2007, une procédure de destitution du Président de la République, venue remplacer son ancienne mise en cause pour trahison devant la Haute Cour de Justice, que nul n’avait jamais osé introduire. La destitution du Président de la République peut être votée par le Parlement (Assemblée Nationale et Sénat) constitué en « Haute Cour », à la majorité des deux tiers, à bulletin secret et sans délégation de vote possible. Sur le fond, elle suppose la démonstration d’un manquement du Président « à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat ». A suivre le constitutionnaliste Didier Maus, membre de la Commission à l’origine de cette réforme constitutionnelle, un tel manquement n’existerait que lorsque le président bloque le fonctionnement des institutions ou affiche un comportement personnel indigne de sa fonction. Un Professeur de sciences politiques, Hugues Portelli, citait, pour illustrer ce dernier cas, l’exemple hypothétique du Président, excédé par sa femme, qui finirait par la tuer… Nous fait-on passer des vessies pour des lanternes ? Il revient aux parlementaires, dépositaires de la souveraineté nationale, d’interpréter aux deux tiers ce texte, et non à des Professeurs de droit constitutionnel ou de sciences politiques, fussent-ils éminents, de s’arroger la prétention de dire ex cathedra ce qu’il doit signifier. D’autant plus que la notion de manquement incompatible avec l’exercice du mandat présidentiel couvre sans conteste un champ autrement plus étendu que celui du seul blocage des institutions ou d’un crime domestique. Comparaison n’est certes pas raison, mais songeons, en droit privé, à la situation du dirigeant d’entreprise attrait en justice en responsabilité par un cocontractant ou un tiers, quel qu’en soit le motif, la résiliation injustifiée d’un contrat de fourniture, ou le dépôt de bilan consécutif pour un sous-traitant de cette rupture. Il est de règle que ce dirigeant bénéficie par principe d’une immunité de responsabilité totalement dérogatoire au droit commun (art. 1240 C. civ., anc. art. 1382 C. civ.), dès lors que la faute contractuelle, dans le premier cas, et la faute délictuelle, dans le second, ont été commises dans l’exercice de ses fonctions. Il personnifie en effet la société qu’il dirige ; il lui prête son corps et son esprit. Ces fautes sont donc réputées celles de cette société, si bien que le cocontractant ou le sous-traitant, dans notre exemple, doivent se retourner directement contre l’entité et non contre l’homme. Il est néanmoins une exception, à l’issue de laquelle ce dirigeant engage sa responsabilité civile délictuelle envers les tiers : ce cas advient lorsqu’il s’est rendu coupable d’une faute séparable de ses fonctions que la Cour de cassation, constante depuis un arrêt Sati du 20 mai 2003, définit comme une « faute intentionnelle d’une particulière gravité, incompatible avec l’exercice normal des fonctions ». Le dirigeant sort en effet dans ce cas de son statut d’incarnation d’un être abstrait, la personne morale, pour révéler l’individu qu’il est par ailleurs. La même idée s’exprime en creux, toutes proportions gardées, dans l’article 68 de la Constitution. Par principe, le Président de la République n’est pas responsable parce qu’il personnifie la personne morale publique qu’est l’Etat français. S’il prend, par négligence, par idéologie ou par inobservation, des décisions politiques désastreuses pour la Nation (signature d’un traité international, déclaration de guerre, nomination d’un ministre incompétent ou révocation d’un ministre populaire), l’Etat seul en prend seul la responsabilité. Il n’en va plus de même quand le Président commet une faute séparable de ses fonctions : c’est ce qu’exprime, à peu de choses près, l’article 68 de la Constitution lorsqu’il évoque un manquement manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat. Il devrait donc suffire d’identifier les devoirs constitutionnels auxquels il a manqué, d’une part, et de vérifier si le manquement est intentionnel et d’une particulière gravité, d’autre part.

Le rédacteur de la proposition d’E&R, Me Viguier, souligne à ce propos que les mesures de confinement prises par le décret du 16 mars 2020 étaient illégales. Nous estimons en effet qu’elles méconnaissaient les dispositions du Code pénal sur le séquestre et, surtout, les dispositions du Code de la Santé Publique qui, depuis une loi passée inaperçue en décembre 2019, n’admettaient que le confinement individuel en cas de maladie contagieuse. La consécration tardive et rétroactive de ces mesures décrétales par la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 (art. L. 3131-12 C. santé pub.) est en outre « anticonstitutionnelle ». On peut considérer en effet qu’elle s’est faite au mépris des missions constitutionnelles du Président prévues par la Constitution du 4 octobre 1958 et des libertés constitutionnelles garanties par le Bloc de Constitutionnalité (Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, Préambule de la Constitution de 1946, principes généraux de la République, etc.). Le Président de la République doit en effet assurer le fonctionnement régulier des pouvoirs publics et la continuité de l’Etat (art. 5 al. 1er et 16 Const.). L’état de chaos sanitaire dans lequel le pays s’est trouvé plongé jusqu’à récemment - absence de commande de masques, refus de recourir à la Chloroquine - permet de douter qu’il ait observé cette mission. Le Président est aussi le garant de l’intégrité du territoire (art. 5 al. 2). Or le Président Macron avalise la partition du territoire, porteuse d’une multiplicité de statuts personnels d’origine ethnique, lorsqu’il accepte tout à fait officiellement, avec son ministre de l’Intérieur Nunez, que le confinement soit allégé dans les quartiers dits sensibles. Enfin, l’article 4 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789 – texte que nous citons du bout des lèvres – rappelle que « la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance des mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi ». Or la liberté d’aller et de venir, de circuler en somme, principe de droit naturel, ne pouvait être entravée par des mesures de confinement sans qu’une loi soit votée par le Parlement ; le décret du 16 mars 2020 n’est pas une loi. Et même si elles ont été entérinées par la loi du 23 mars, celle-ci ne fixe pas une « borne », c’est-à-dire une exception à une liberté de principe. Elle inverse totalement la règle constitutionnelle : les français n’ont par principe pas la liberté d’aller et venir. Ce n’est que par dérogation dûment justifiée par des motifs préétablis sur une attestation, qui est d’ailleurs régulièrement modifiée, qu’ils peuvent circuler dans une insécurité juridique manifeste. Ainsi, en initiant toutes ces mesures de confinement, le Président Macron a gravement et sciemment manqué aux devoirs que la Constitution et le Bloc de constitutionnalité mettent à sa charge.

Maintenant que nous sommes assurés que la recherche par E&R de la destitution du Président Macron est sérieuse sur le plan du droit constitutionnel, se pose la question de sa probabilité de succès. C’est envisager ici le détail de la procédure de destitution qui, pour parler sans ambages, est un véritable parcours du combattant. En premier lieu, la même proposition de résolution motivée doit, selon l’article 68 de la Constitution, être déposée devant le bureau de chacune des assemblées, Assemblée Nationale et Sénat, par un dixième de ses membres : soit 58 députés et 35 sénateurs au minimum. Aux termes de l’article 1er de la loi organique n° 2014-1392 du 24 novembre 2014, le texte est communiqué au Président de la République, qui peut ainsi exercer les pressions qu’on imagine pour étouffer dans l’œuf cette menace. La proposition déposée est en effet soumise au vote préalable du Bureau de chaque assemblée, qui décide de sa recevabilité et la communique, le cas échéant, à la Commission des lois. Il importe donc que les deux bureaux en admettent toutes deux la recevabilité. La résolution est ensuite proposée au vote des membres des deux assemblées, sans amendements et en première lecture. Elle n’est adoptée que si les deux assemblées lui accordent la majorité des deux tiers de leurs suffrages. Ce n’est que dans cette hypothèse que le Parlement se réunit enfin - probablement à Versailles - en « Haute Cour » et vote à nouveau cette proposition, dont l’adoption suppose un vote réitéré de la majorité des deux tiers des parlementaires. Le Président de la République est destitué alors sur-le-champ.

Signalons que la première étape de cette procédure en destitution a été partiellement franchie par un député LR, Pierre Lellouche, en novembre 2016. Il avait réussi à recueillir 79 signatures de députés (y compris celle d’Edouard Philippe !) pour lancer une procédure en destitution contre le Président François Hollande, au motif que celui-ci avait divulgué aux journalistes du Monde Gérard Davet et Fabrice Lhomme (« Un président ne devrait pas dire ça ») des informations confidentielles relevant du Secret Défense. Ladite proposition de résolution avait cependant été déclarée irrecevable par le bureau de l’Assemblée Nationale, par treize voix contre huit, au prétexte que les faits reprochés étaient trop occasionnels et, surtout, qu’une destitution à la veille des élections présidentielles ne porterait pas à conséquence. Depuis, d’autres, qui n’étaient ni députés ni sénateurs, se sont essayées à convaincre les députés et sénateurs d’initier cette procédure. On songe notamment au Président de l’UPR François Asselineau qui, à la veille des manifestations du 2 décembre 2018 des Gilets Jaunes, avait rédigé en vain un dossier juridique de seize pages à l’appui, pour convaincre les députés et sénateurs d’enclencher l’article 68 cette fois contre Emmanuel Macron. Aucun ne le suivit, et pour cause : on pouvait encore hésiter, après lecture de ce fastidieux dossier, à qualifier d’anticonstitutionnelles les réactions du gouvernement aux protestations des Gilets Jaunes et, surtout, l’échec de la démarche de l’UPR venait vraisemblablement du fait qu’elle émanait, sans le dissimuler, d’un parti politique concurrent et de surcroît non représenté à l’Assemblée Nationale. L’avenir dira si l’association E&R sera plus heureuse dans ses démarches. Deux choses sont cependant certaines et lui sont objectivement favorables. D’abord, l’argumentaire juridique qui la soutient, bien que moins loquace, paraît plus décisif. Ensuite, cette association a eu la présence d’esprit de ne pas solliciter directement les députés en tant que telle, mais d’inciter la population à demander directement cette destitution aux députés et sénateurs. Pareille stratégie présente l’avantage de placer ces mandataires de la Nation devant leurs responsabilités. Et si les députés et sénateurs se refusent à la déposer sur le bureau de leur assemblée, le peuple français pourra en déduire, une fois pour toutes, qu’ils ne les représentent pas et que la Constitution de 1958, quand elle proclame que la République est le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple, est un ramassis de mensonges éhontés.

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