Dans un article paru le 31 janvier 2020 et consacré aux conséquences pour l’agriculture française du Brexit, la revue France Agricole s’inquiète, au terme de ses calculs prévisionnels, du déficit qui s’ensuivrait pour notre balance commerciale si aucun accord commercial n’était négocié avec l’Union Européenne. Rappelons que la date fatidique de sa signature a été repoussée au 31 décembre 2020 au plus tard, sachant que le Royaume-Uni peut mettre fin aux pourparlers le 30 juin prochain s’il fait définitivement le choix du No Deal. D’aucuns prédisent, la voix tremblant d’aigreur, que l’économie britannique subira un dévaste économique pour prix de sa forfaiture. D’autres, qu’ils soient anglophiles ou rêvent de briser l’Union Européenne, promettent à grand tambour au Royaume-Uni une prospérité inégalée dans les mois à venir. Plus réaliste, un économiste impartial faisait remarquer sur une chaîne de radio publique que les effets économiques du Brexit ne pourront être véritablement évalués que dans une quinzaine d’années. Ils dépendent en effet, avant tout, de la stratégie commerciale qu’adoptera le gouvernement anglais vis-à-vis des Etats membres et des Etats-Unis. Saluons à tout le moins l’indépendance d’esprit du peuple anglais qui s’est sorti, par l’énergie d’un Premier Ministre Boris Johnson, du carcan institutionnel européen, des nombreux pièges tendus par les euro-technocrates et d’une manipulation grossière de l’opinion publique par les édiles médiatiques.
Il est certain en revanche que les filières agricoles françaises seront quant à elles durement impactées par l’inapplication prochaine des règles de libre circulation des marchandises entre la France et le Royaume-Uni et le rétablissement corrélatif de droits de douane. La France est en effet le deuxième fournisseur en denrées alimentaires de son voisin outre-Manche. Le Royaume-Uni était jusqu’à présente destinataire d’une fraction non négligeable de nos exportations de viande ovine (6 %), de volailles de chair (10 %), d’ovoproduits (15 %), de produits équivalents lait (7,5 %), de maïs (8,9 %). Nous vendons à ses entreprises chaque année 300 000 à 400 000 tonnes de sucre blanc, 2,6 millions d’hectolitre d’éthanol, 200 000 tonnes d’amidon et produits amylacés, 50 000 tonnes de pommes de terre à haute valeur ajoutée (grenaille ou gros calibre type Baker) et 200 000 tonnes de fruits et légumes dont 120 000 tonnes de pommes. Ces exportations se ressentiront de l’enchérissement de nos denrées, quand s’y appliquera la majoration – escomptée entre 15 et 30 % conformément aux règles de l’OMC – des droits de douane. Autant dire que le Royaume-Uni ira se fournir aux Etats-Unis, en Nouvelle-Zélande, en Chine ou en Argentine, où les prix seront plus concurrentiels. Notre balance commerciale, qui est déjà lourdement obérée depuis les années 2000 (- 59,4 milliards d’euros en 2018), s’en trouvera immanquablement aggravée.
Plutôt que d’incriminer les britanniques pour le tort qu’ils vont répandre sur l’écoulement de notre production agricole, songeons que le Brexit est un évènement dont nous pouvons tirer profit, en le considérant sous son aspect symptomatique : celui de l’excessive dépendance de notre économie agricole envers l’étranger. Ce constat est loin de faire l’unanimité, comme en atteste un colloque organisé le 22 janvier 2019 par Agridées, un think tank agricole, sur le thème « Filière céréalière française : construire une stratégie d’exportation ». Croyant déduire les conséquences nécessaires d’une compétitivité morose de l’agriculture céréalière française, ses conférenciers ont exhorté les acteurs du secteur à adapter leur production, non pas aux besoins du marché interne, mais aux desideratades consommateurs d’autres contrées… Les firmes agro-alimentaires égyptiennes et saoudiennes trouvent-elles notre blé trop humide et insuffisamment protéiné (11-11,5 %) ? Cultivons des milliers d’hectares de blé d’une autre variété plus sèche et protéinée (12-12,5 %) ! Le blé blanc, dont nous avons cessé la culture en raison des problèmes suscités par sa collecte et son taux de chute, est-il apprécié par les étrangers ? Relançons les semis ! Un intervenant loue les peuples danois et hollandais d’organiser leur production et leurs filières en fonction du seul marché international. Un autre morigène nos cultivateurs de ne semer que dans l’esprit d’approvisionner le marché intérieur, et d’entasser leur récolte céréalière dans d’énormes silos, lesquels entravent toute « segmentation à la sortie ». A l’entendre, le producteur de blé devrait organiser ses parcelles, ses semis et ses variétés selon les demandes spécifiques de chaque pays importateur de destination. Et il devrait ensuite stocker ses récoltes dans un silo pour celles qu’il destine à Algérie (pays qui absorbe 40 % de nos exportations), dans un autre pour les exportations au Proche Orient, un autre encore pour le marché de l’Afrique de l’Ouest, etc. Il faudrait aussi semer du blé sans gluten, dont raffolent de plus en plus de pays… On croit rêver. Alors, qu’on nous permette de rire sous cape lorsqu’un intervenant lâche, interloqué : « Bizarrement, le maïs hongrois reste en Hongrie ». Mais les magyars de Victor Orban, il est vrai, sont des barbares qui ont ravagé l’Europe au IXe siècle, qui parlent une langue comportant vingt-trois déclinaisons, qui ont été dirigées vingt ans par le Maréchal Horthy - l’équivalent de notre Maréchal. Ils ont même eu un intermède NS sous Szálasi Ferenc de 1944 à 1945 et ont ériger sans vergogne en 2015 un mur à leur frontière, sur 175 kilomètres, pour contenir l'afflux des « migrants ».
Ce consensus marchand qu’exprimait ce colloque, et l’incompréhension que suscite toute pratique protectionniste, ne sont nullement propres au secteur céréalier. Il suffit d’ouvrir le numéro de janvier de Capital pour lire l’extase des journalistes sur l’implantation sur notre territoire de la filiale d’un groupe pharmaceutique anglo-suédois, d’une société chinoise de cosmétique (Dowel & Yidai) et de deux sociétés américaines (Owen-Illinois et Symphony), au prétexte qu’elles ont créé respectivement 130, 60, 60 et 100 emplois. On apprend au passage que la première exporte 99 % de sa production à l’export ! Le numéro se réjouit d’une embellie compétitive de notre pays, qui accède désormais à la 15e position du podium, grâce à une contraction du coût du travail… En d’autres termes, les travailleurs français s’appauvrissent – ou auraient seulement le sentiment de s’appauvrir ? –, ils manifestent leur désarroi sans discontinuer depuis un an dans toutes les grandes villes du pays, mais l’essentiel, pour Capital, est que notre productivité croît ! Décidément, il est contre-indiqué pour la tension d’écouter ou de lire tous ces journaleux, dont les prédicats économiques s’abreuvent à la source – singulièrement communautaire – du libéralisme d’un Milton Friedman (Capitalisme et liberté) ou d’un Paul R. Krugman (La mondialisation n’est pas coupable). Il est temps que la doctrine protectionniste, promue en France notamment par l’économiste Jacques Sapir (La démondialisation), soit relayée par l’Université, des groupes industriels - quand il en reste - et des hommes et des femmes politiques de courage ! Sans quoi le Frexit défendu par François Asselineau ne sera que cette sympathique affiche placardée par quelques militants de l’Action Française sur les murs de la capitale…
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